par Francis Pelletier © Copyright 1995 MOSARCA
Cet article a été publié dans le magazine MOS 131 -
février 1995
Il est vite apparu que deux écoles s'affrontaient pour imposer
leur "standard"; et le faisaient avec vigueur, car le standard
qui sera retenu sera valable aussi bien pour l'industrie électronique
grand-public que pour l'industrie informatique. Pour éclairer ce
débat technique où il est bien difficile de se faire une opinion
sur la réalité des choses, nous avons voulu rencontrer des
responsables de firmes et des industriels impliqués dans la filière
CD. De ces contacts est née une opinion dont nous vous faisons part
en tentant de faire le point sur l'état actuel de ces projets et
en pesant le pour et le contre des deux techniques proposées.
Comme nous avons pu en déduire des contacts et des rencontres avec
certains des industriels concernés, rien n'est vraiment arrêté
à ce jour et certaines informations publiées récemment
sont fortement sujettes à modification. Les deux écoles en
présence, c'est-à-dire Philips/Sony d'un côté
et Matsushita/ Toshiba et consoeurs d'un autre, n'ont en effet pas dévoilé
les spécifications finales de leurs produits. Philips et Sony prévoient
de les communiquer à leurs licenciés tandis que le groupe
entraîné par Matsushita et Toshiba a fait savoir que les versions
finales de leur produit seraient prêtes à la mi-95. Rien n'est
donc arrêté, sinon le fait qu'un Compact Disc de haute densité,
que ce soit le HD-CD ou le DVD (Digital Video Disc), verra
le jour car il s'inscrit dans l'évolution logique des média
optiques. Avant d'analyser les avantages et les inconvénients de
chacun des deux CD haute-densité en lice, il semble utile de refaire
un bref historique des annonces et des spécifications de chacun.
Philips et Sony ont été les premiers à présenter
leur futur "standard" de HD-CD, le 16 décembre 1994. Celui-ci
a été présenté comme la continuation du format
actuel du Compact Disc dont on a augmenté la capacité d'un
facteur 5,5X pour la porter à 3,7 giga-octets (ou milliards de caractères)
sur un disque mono-face et mono-couche de douze centimètres de diamètre.
Une version bi-couche issue de la technologie 3M (voir MOS N°.129 et
ci-après) est également prévue et offrira une capacité
totale de 7,4 giga-octets (2L). La proposition de Philips et Sony offre
la possibilité de stocker sur un HD-CD mono-couche 135 minutes de
vidéo numérique compressée à la norme MPEG-2,
des sous-titres et du son sur trois pistes stéréophoniques
de qualité CD, pistes multiplexées permettant le multilinguisme.
Le taux de transfert que préconisent Philips et Sony se situe entre
trois et quatre mégabits par seconde pour une application de type
DVD ou Vidéo Disque Numérique. Ils prévoient toutefois
de le laisser évoluer dans une fourchette nettement plus large, entre
un et dix mégabits par seconde, en jouant sur la vitesse de rotation
du disque. A basse vitesse, c'est-à-dire au débit de 1,5 mégabits
par seconde, les lecteurs de HD-CD pourront lire les Compact Disc audio
actuels ou les Video-CD utilisant la norme MPEG-1 pour la vidéo numérique.
A vitesse élevée, ils seront capables - d'après les
responsables de Philips que nous avons rencontrés - de lire de la
vidéo numérique de haute définition à un taux
de transfert de l'ordre de sept mégabits par seconde. Philips et
Sony ont également dans leurs cartons un HD-CD de huit centimètres
de diamètre d'une capacité de 1,3 giga-octets en mono-couche
et de 2,6 giga-octets avec deux couches superposées.
Ce HD-CD n'a pas pour seule vocation de porter de la vidéo numérique.
Philips et Sony ont prévu une version CD-ROM du HD-CD et, pour plancher
sur les extensions de la norme ISO-9660 qui seront nécessaires pour
assurer la portabilité et l'interchangeabilité de ce média,
ils ont reçu le renfort de plusieurs grands noms de l'industrie de
l'informatique parmi lesquels on trouve IBM, Apple Computer, Compaq et Microsoft.
Leurs travaux seront proposés aux comités de normalisation
ECMA-TC15 puis à l'ISO.
L'un des maîtres mots du clan Philips/Sony concernant le HD-CD est la compatibilité des lecteurs avec les média actuels: Compact Disc audio, Video-CD, CD-I et aussi la version CD-ROM pour la partie informatique. Comme l'a rappelé M. John Hawkins (président de Philips-IMS) lors d'InterMedia, Philips et Sony ne conçoivent pas que quelqu'un qui possède des programmes ne puisse rejouer ses disques sur les futurs lecteurs de HD-CD. Cette compatibilité ascendante est possible grâce à une technique de modulation du signal, EFM-Plus (ou 8 to 14 Modulation), dérivée de celle mise en oeuvre actuellement (bien que la rumeur prétende qu'il s'agit d'un 8/14+1). Le code de correction d'erreur CIRC-Plus est lui aussi dérivé de celui du Compact Disc actuel. Philips et Sony vont faire développer des circuits électroniques spécifiques qui pourront traiter indifféremment le CD de base et le HD-CD.
Matsushita, Toshiba et la dizaine de sociétés (MOS 130,
pages 39/40) qui se sont jointes à elles ont fait sensation et provoqué
beaucoup de remous dans l'industrie en annonçant leur propre Compact
Disc de haute densité, le SD pour Super Density disk.
L'annonce a eu un retentissement important, atteignant même le grand
public, mais les explications qui en ont été données
et les interprétations qui en ont été faites étaient
parfois fantaisistes. Encore une fois, il faut rester prudent sur un sujet
aussi mouvant. Comme celles du disque du clan Philips/Sony, les spécifications
finales du SD ne seront connues que dans quelques mois; à la mi-95,
selon des informations d'origine japonaise. Ce HD-CD dissident est, comme
nous l'avons déjà indiqué dans ces colonnes, une réponse
en force d'industriels voulant s'affranchir du clan Philips/Sony auquel
ils ont versé des royalties pendant dix ans pour pouvoir exploiter
la technologie du Compact Disc audio puis du CD-ROM.
Physiquement, le SD de Matsushita/ Toshiba reprend le diamètre du
Compact Disc actuel, 120 mm, mais offre une capacité de cinq giga-octets
par face. Par contre, nous ne savons rien sur la technique de modulation
des signaux ni sur la nature exacte des pistes et des indentations (pits)
représentant les données. Le SD utilise un nouveau code de
correction d'erreur appelé RS-PC pour Reed Solomon Product Code qui
est, semble-t-il, spécifique à ce nouveau format logique de
disque. S'il y a compatibilité de lecture avec les Compact Disc actuels,
cela implique que l'on utilise deux techniques de correction d'erreur dans
le même lecteur. Car là est bien le problème soulevé
par cette annonce. Les promoteurs du SD prévoient d'assurer une compatibilité
de lecture des média actuels (Compact Disc audio et Video-CD) dans
leurs futurs lecteurs mais sans préciser comment ils la maintiendront.
En effet, outre la modulation du signal et le code de correction d'erreur,
la structure physique du SD diffère également de celle des
média actuels. Selon les informations publiées par le groupe
d'industriels du clan Matsushita, la structure de ce disque est composée
de deux substrats de 0,6 mm d'épaisseur collés dos à
dos afin d'offrir deux faces exploitables par retournement du disque. Cette
structure, déjà connue et tout à fait exploitable,
nécessite toutefois en phase de lecture une focalisation du faisceau
laser différente de celle que demande un Compact Disc audio normal,
tout simplement parce que l'épaisseur du substrat est plus mince
(0,6 mm contre 1,1 mm). Aucune information n'a été fournie,
à ce jour, sur la tête optique capable de se plier aux exigences
de ces deux types de média.
Le SD aura pour première application, selon le groupe d'industriels
qui le soutient, la diffusion de programmes audiovisuels (films, documentaires,
etc.) compressés à la norme MPEG-2. Il remplacera des produits
tels que le LaserDisc ou le Video-CD. Il portera plusieurs pistes sonores
stéréophoniques indépendantes ainsi que des canaux
réservés à des sous-titres et à des données
auxiliaires. D'après les déclarations faites lors de la conférence
de presse en janvier, mais qui nous paraissent bien optimistes, les premiers
lecteurs de DVD ou Digital Video Disc répondant aux spécifications
du SD pourraient être disponibles à la mi-96 au prix de 500
dollars pièce! Par contre, aucune information n'évoque la
possibilité d'utiliser le SD dans une version informatique, en remplacement
du CD-ROM. A moyen terme, certains industriels du groupe "SD"
envisagent également de concevoir et de commercialiser un enregistreur/lecteur
de "SD-E", pour Super Density Disc - Effaçable, basé
sur la technologie du changement de phase. Les utilisateurs pourront y enregistrer
de la vidéo numérique ou tout autre forme d'informations numériques,
la télévision numérique par exemple. Ces produits sont
bien avancés chez Matsushita, Hitachi et Toshiba mais ne devraient
pas être lancés avant les années 1998, 1999.
Dans la liste des cosignataires en faveur du SD apparaît le nom de
Thomson Consumer Electronics qui est d'ailleurs le seul industriel européen
à avoir fait ce choix. Celui-ci aurait été dicté,
selon des informations non confirmées, par la présence dans
ce clan de grands noms de l'industrie cinématographique et audiovisuelle
(MCA, Time Warner auxquels s'ajoutent Pioneer LDC et Toshiba-EMI) capables
de créer rapidement des catalogues en puisant directement dans leurs
fonds!
Il est peu vraisemblable que deux produits concurrents découlant
du Compact Disc actuel puissent être lancés en même temps
sur le marché. D'autant que lecteurs et disques ne seront pas interchangeables
et que les techniques de matriçage et de duplication seront différentes,
obligeant les presseurs à s'équiper de deux lignes distinctes.
Lorsque l'on interroge les responsables de Philips à ce sujet, ils
se disent à l'écoute de toute proposition et ouverts au dialogue
afin d'entrevoir la mise au point d'un produit compatible et universel.
Le HD-CD idéal serait un mix des deux techniques qui s'affrontent.
Côté technique, les points forts du clan Matsushita/Toshiba
(et autres) sont la capacité de stockage et les noms qui le soutiennent.
Cette capacité de stockage d'une face de disque est de 5 giga-octets
contre 3,7 giga-octets pour Philips/Sony; soit un gain de 35%. Il permet
dans l'absolu d'offrir une meilleure qualité vidéo - avec
un débit en mégabits par seconde plus important - tout en
assurant une pleine capacité par face de disque. L'autre point fort
du groupe Matsushita/Toshiba est d'avoir rallié à lui un nombre
important de grands noms de l'industrie électronique grand-public
ainsi que des "majors" compagnies de l'audiovisuel possédant
des fonds qui seront immédiatement transférables sur DVD.
Les points faibles sont l'utilisation d'une modulation du signal et d'un
code de correction d'erreur différents du CIRC ainsi qu'une structure
du disque à deux substrats de 0,6 mm. Ce nouveau code de correction
d'erreur obligera, pour maintenir une compatibilité de lecture avec
les Compact Disc actuels, à ajouter des circuits électroniques
supplémentaires ou à concevoir un composant mixte, d'où
un surcoût. Mais le point le plus controversé est sans doute
la structure du disque. Les deux substrats - sans doute en polycarbonate
- de 0,6 mm, collés dos-à-dos forment une structure similaire
à celle du LaserDisc et non du Compact Disc. Les presseurs devront
introduire des machines spéciales dans la chaîne de pressage
et effectuer une opération qui augmentera le coût de fabrication
des disques. L'autre inconvénient de cette structure à deux
faces est que l'utilisateur doit retourner le disque à la main pour
poursuivre la lecture du programme. Sinon, il faut prévoir d'ajouter
au lecteur un dispositif coûteux de déplacement de la tête
optique afin qu'elle puisse se positionner sur l'une ou l'autre des faces
(principe déjà utilisé pour le LaserDisc).
Bien que cela ne soit pas encore démontré, le "SD"
de Matsushita et Co peut se révéler plus fragile que son concurrent
à l'usage, tout du moins plus sensible aux dégradations superficielles
du substrat, aux rayures, aux poussières et aux empreintes digitales.
En effet, la distance entre la surface du disque et le point de focalisation
du spot laser se trouvera réduite de par l'épaisseur même
du substrat. Celui-ci sera, de ce fait, plus sensible aux rayures et poussières
qui perturberont le faisceau laser d'émission et de retour. Apparemment
les concepteurs du SD en sont conscients car ils envisagent de commercialiser
les disques dans une cartouche qui servira à son stockage puis à
son insertion dans le lecteur. Cette cartouche préfigure aussi celle
qui sera obligatoirement utilisée pour les futurs SD-E enregistrables
et effaçables. Les licenciés de ce groupe viennent de recevoir
la version 0.9 des spécifications techniques globales du "SD"
ou Super High Density Disc et nous devrions en savoir plus dans les mois
à venir.
Le HD-CD idéal consisterait à utiliser le meilleur de chacune
des techniques proposées. La densité d'informations (5 Go)
proposée par Matsushita/Toshiba est mieux adaptée aux futures
applications de vidéo numérique compressée de haute
résolution. Par contre, la structure à double couche de Philips/Sony/3M
semble mieux répondre aux exigences des utilisateurs ainsi qu'à
une automatisation de la fabrication des disques, à condition que
soient correctement maîtrisées certaines techniques de dépôt
(voir page 11/12). La lecture des couches à la suite l'une de l'autre
se fait sans qu'il faille retourner le disque, tout simplement en déplaçant
la tête optique et son objectif afin que le spot laser soit focalisé
sur la couche primaire ou sur la couche secondaire (voir article 3M, dans
ce même numéro pages 11/12).
Si le SD s'avère d'une mise en oeuvre aisée aux niveaux du
matriçage des disques, de la galvano-chimie puis du pressage, on
retiendra sa capacité car elle offre des perspectives d'évolution.
En matière de structure, la technique des deux couches superposées
est préférable à celle du double-face. Quant à
la technique de modulation du signal, sur le papier, l'EFM-Plus assure une
pleine compatibilité avec les Compact Disc actuels. Il en est de
même pour le code de correcteur d'erreur CIRC-Plus, à condition
qu'il soit moins exigeant qu'aujourd'hui concernant la redondance.
Les premiers marchés de ces nouveaux média dérivés
du Compact Disc seront des marchés d'équipement. Les usines
de prématriçage, matriçage et pressage devront en effet
installer de nouveaux ateliers et lignes de fabrication. Les premières
usines qui seront équipées pour fabriquer ces deux média
seront celles qui appartiennent en propre ou par filialisation aux entreprises
de l'électronique des deux clans qui s'affrontent aujourd'hui. Elles
bénéficient d'ores et déjà des informations
techniques les plus pointues; certaines, comme Warner aux USA, ont réalisé
des tests afin de valider les technologies. Les autres, c'est-à-dire
les indépendants qui représentent la majeure partie des fabricants,
devront reconsidérer une partie de leur équipement. Le matriçage
de HD-CD va entraîner des modifications au niveau de la machine de
création de la matrice de verre appelée LBR (Laser Beam Recorder).
Si celle-ci est récente, les principaux changements porteront sur
l'optique, sans doute au niveau du laser d'écriture dont la longueur
d'onde devra passer de 459 à 371 nanomètres, et, dans certains
cas, sur le système d'avancement du disque afin de coller au nouveau
pas fixé. Certains fournisseurs comme ODME (Hollande) ont d'ores
et déjà prévu un kit de mise à niveau, mais
sans en préciser le coût. D'autres, comme ODC (USA) ou Digipress
en France (avec son Century Master) préparent les futures versions
de leurs produits.
Il est vraisemblable que les LBR enregistreront les matrices à une
vitesse multipliée par 8 (8X); il faudra donc environ 45 minutes
pour enregistrer 3,7 giga-octets ou 135 minutes de vidéo MPEG-2;
la source sollicitée à un tel débit pourrait être
constituée de disques durs magnétiques en grappe sur lesquels
auront été transférées les données à
partir d'une bande magnétique en cartouche de type Exabyte (5 Go).
Les opérations de galvano-chimie par lesquelles on crée les
stampers devront être suivies d'un contrôle approfondi en raison
de la finesse de la gravure; cela ne semble a priori pas poser trop de problèmes
si les conditions d'environnement de travail sont bonnes.
Par contre, pour presser les SD de Matsushita/Toshiba, il faudra faire subir
quelques modifications aux chaînes de pressage. Celles-ci devront
réaliser, tout en épousant parfaitement les formes, un disque
de 0,6 mm d'épaisseur. De toute manière, dans un cas comme
dans l'autre, il est vraisemblable que le cycle de pressage sera augmenté.
Il est actuellement de cinq secondes environ par disque sur une machine
mono-presse; il passera sans doute à dix, voire douze secondes. Suivront
les opérations de dépôt de la couche réfléchissante
puis du vernis de protection (2,5 secondes en moyenne aujourd'hui). S'il
s'agit d'un SD, la suite des opérations consiste à coller
deux substrats dos à dos. S'il s'agit d'un HD-CD mono-couche de type
Philips/Sony, le disque est immédiatement imprimable après
le dépôt du vernis de protection. Le clan Philips/Sony met
ainsi en avant la simplicité de fabrication de son disque mono-couche
d'une capacité de 3,7 giga-octets ou 135 minutes de vidéo
MPEG-2. Il espère voir se rallier à lui les fabricants indépendants
de disques, déjà attirés par le fait que l'investissement
en nouveau matériel de pressage est plus faible. Il est impossible
aujourd'hui de prévoir quel sera le camp gagnant de la future génération
de HD-CD. Comme nous avons tenté de l'expliquer, les deux clans disposent
d'atouts à la fois techniques et stratégiques. Reste à
souhaiter qu'ils aient la sagesse de parvenir à un accord pour exploiter
au mieux les possibilités de la technique tout en préservant
- à moindre coût - la compatibilité avec les Compact
Disc actuels et qu'ils fassent que les HD-CD ou les SD puissent être
déclinés sans problème sur l'ensemble de la gamme des
applications.