Les techniques du Workflow

Etat de l'art, marchés, démarche


par Sébastien Soubbaramayer - consultant AIM
© copyright 1994 - cet article a été publié dans le magazine MOS 127 - Septembre 1994

Outil informatique d'origine industrielle, le workflow propose des solutions d'optimisation et de rationalisation des flux d'informations, que ces informations soient des documents, des procédures ou des messages complémentant les systèmes de gestion électronique de documents et d'informations. Encore peu utilisé en Europe, le workflow demande à être mieux connu, expliqué et illustré, ce que nous tentons de faire dans cet article.


Afin de cerner ces technologies, après avoir expliqué les concepts de base, les origines du workflow et l'avoir défini, nous abordons dans cet article les tenants et les aboutissants de sa mise en application. L'objectif, dans un second temps, est d'offrir un panorama de l'offre et de ses utilisations par différents secteurs économiques.
Le workflow fait aujourd'hui partie de ces appellations non contrôlées, au sens mouvant, qui recouvrent un ensemble de notions plus ou moins floues. Nous allons tenter de clarifier le débat en analysant point par point ses fonctionnalités, son marché et les démarches à suivre pour une implantation réussie. Les concepts et technologies du workflow sont issus du monde industriel, et plus exactement de la fabrication. On y retrouve en effet les schémas classiques de production que sont les activités séquentielles et les activités simultanées (également nommées &laqno;Concurrent Engineering»). C'est dans ce secteur d'activité qu'ont été appliqués les principes d'optimisation du type JIT (Just In Time ou Juste à temps) et TQM (Total Quality Management ou gestion de la qualité totale) avec, entre autres conséquences, le travail à flux tendus, la suppression des tâches et des stocks intermédiaires, la recherche de la diminution des taux d'erreurs. Des travaux théoriques tels que ceux d'Ellis, les modèles de Petri ou les méthodes ICN, associés aux approches industrielles, ont donné naissance aux premiers outils workflow. Aujourd'hui encore, tous les outils workflow sont sous-tendus pour des concepts industriels, notamment l'optimisation des procédures.
Une définition encore difficile En l'absence de définition officielle du workflow, il règne une certaine confusion et un mélange des concepts avec le groupware, la GED, etc. Nous proposons comme définition du workflow celle d'outil décisionnel coopératif dont les paramètres sont les suivants:

Nous pouvons donc dire que le workflow est un système:

Il y a donc lieu de bien souligner que le côté déterministe du workflow, avec des limites dans le temps, le distingue nettement du groupware qui est un lieu d'accueil ré-actif et circonstanciel, sans contraintes de temps et d'espace et qu'il n'y a pas de lien systématique avec la GED au point que, vraisemblablement, nous allons assister, à moyen terme, à une séparation totale de ces marchés. Enfin, la gestion éventuelle n'est qu'un sous-produit du workflow.

Les fonctions principales du workflow


Généralement, les workflows prennent en charge les trois tâches de base suivantes: gérer les procédures de travail; coordonner les charges et les ressources; superviser le déroulement des opérations. La réalisation de ces tâches s'exécute au travers des multiples fonctionnalités disponibles, parmi lesquelles on peut citer:

- la manipulation d'objets organisationnels de base: processus, procédure, rôle, cas à traiter;
- les scripts, les simulations et la gestion des procédures;
- les fonctions d'organisation standard: re-routage, affectation multiple, mise en attente avec gestion des délais, gestion des priorités, affectation de status, suivi des événements;
- la gestion des documents composites: données, fichiers, messages, images, EDI;
- l'intégration en environnement de développement, en amont, par la définition de liens avec les AGL et en aval, par la gestion des bibliothèques d'API;
- des outils de suivi et d'exploitation des activités.

Il est intéressant de dire quelques mots sur quatre fonctions spécialisées de workflow.
La simulation permet de tester des hypothèses de fonctionnement, soit en jouant sur des paramètres simples, à savoir le temps, le stock à traiter, le nombre d'acteurs nécessaires, soit en jouant sur des paramètres complexes: l'optimisation des fiches d'attente, le travail en flux tendus, la gestion des absences. Il s'agit d'un outil très prisé des organisateurs et des consultants, notamment dans le cadre de démarches de type "Process Re-Engineering" que l'on peut traduire par re-conception des processus.

La modélisation permet de dessiner et d'écrire des procédures avec un outil graphique. On représente le schéma général d'une procédure, les objets manipulés (par exemple des documents), les contraintes de temps, de délais et de stocks. La modélisation peut être utilisée comme base de tests pour vérifier des hypothèses (fonction de simulation) puis comme référentiel de l'organisation.
- L'analyse est liée à la simulation. Cette fonction permet de mettre en application des standards et des unités d'uvre administratives tels que des temps moyens de traitement pour une procédure donnée, le coût de traitement d'un dossier, le coût d'un acte de gestion. Cette fonction s'apparente à la théorie statistique de gestion des fiches d'attente. La bonne utilisation de ce module a au moins trois retombées. Elle permet:

- de mettre en uvre des principes de comptabilité analytique dans le secteur tertiaire;
- de faire l'analyse de la valeur sur les processus, base de toutes les démarches dite de "Business Process Re-Engineering" ou re-conception des processus;
- de mettre en uvre des indicateurs de pilotage d'activité (par exemple, le nombre de dossiers en cours de traitement).

Quant au monitorat, il permet de savoir qui fait quoi dans une procédure. Cette fonction permet donc d'intervenir, notamment pour redistribuer des tâches, ré-affecter des priorités, mettre des situations en attente. On y trouve également des outils statistiques et des indicateurs d'alerte qui permettent de formaliser les procédures de gestion, rationaliser les flux d'information, gérer et optimiser les ressources et les charges, simuler des modèles d'organisation, contrôler l'exécution des tâches et gagner en efficience (efficacité administrative) et en productivité.

Les applications du WorKFlow


Sans prétendre être exhaustifs, nous pouvons présenter plusieurs applications du workflow et, pour cela, il faut utiliser des critères de segmentation. Voici les principaux. Nous savons que la norme ISO 9000 impose une architecture documentaire à 3 niveaux: le manuel de qualité, la description des procédures; enfin les enregistrements et les preuves. Les exigences d'ISO 9000 en termes d'auditabilité, de traçabilité de l'information, de mise à jour des circuits de décision et de délégation en font un terrain idéal pour la mise en uvre d'un workflow orienté procédure. Il est d'ailleurs vraisemblable que des fournisseurs se spécialisent dans ce marché très porteur.
Par ailleurs, le Business Process Re-Engineering (ou B.P.R.) vise à passer d'une approche fonctionnelle à une approche par processus multi-fonctionnels et d'une perspective interne à une perspective client. Les objectifs sont des améliorations très nettes en matière de coût, de délai, de qualité. Le workflow constitue un support idéal du B.P.R. en permettant l'élimination de couches de management et l'amélioration de deux ratios clés qui sont le taux de succès au 1er passage et la valeur active d'un processus (c'est-à-dire le temps effectivement travaillé). Il permet également:

- d'introduire du parallélisme dans le travail et l'élimination des boucles;
- de contrôler des sources de blocage;
- de redéfinir certains métiers et d'effectuer le déport vers des fonctions commerciales;
- de centraliser du back-office;
- de décentraliser du front-office.

Les solutions de workflow s'adaptent à de nombreux besoins dans les entreprises comme dans les administrations. Elles répondent au besoin de gérer de gros volumes d'informations en automatisant les tâches administratives liées aux réclamations, aux commandes mais également aux transferts de fonds. Elles s'avèrent aussi un élément primordial pour la gestion de procédures, parmi lesquelles l'on peut citer les dépenses, les règlements, les souscriptions et le traitement des demandes. De même, le workflow est un auxiliaire efficace dans le processus de management pour l'organisation de réunions et le partage de l'information. Enfin, pour clôturer cette liste non exhaustive d'applications du workflow, on peut mentionner la gestion de procédés complexes comme les brevets, les prêts bancaires, les mises sur le marché de produits pharmaceutiques.
Sous forme d'application générique, le workflow répond aux besoins de la majorité des entreprises. Parmi les exemples les plus significatifs, la gestion du courrier entrant ou sortant et celle des télécopies et des appels téléphoniques constitue une première phase d'utilisation de ces techniques. Il en est de même pour la gestion de pièces ou de documents administratifs, par exemple des factures ou des réclamations, pour lesquelles les procédures permettent le suivi permanent d'un dossier.
La troisième catégorie d'applications du workflow est celle des applications spécifiques ou verticalisées conçues pour répondre à un besoin d'une entreprise ou d'une administration. Dans le cas de services publics, le workflow s'applique à la gestion des actes et des registres comme à celle des dossiers de cotisations ou de prestations. Dans le secteur de la santé, il se révèle être une aide précieuse pour le suivi de dossiers médicaux ou de CANDA (type AMM). Il en est de même dans le monde bancaire pour la gestion des mouvements et des dossiers de prêts, depuis l'instruction jusqu'aux opérations purement financières. Il existe ainsi des banques à réseau qui, pour une partie de leurs crédits aux entreprises, ont mis en uvre un workflow couplé à la GED dans 50 agences bancaires, avec dématérialisation complète des supports papier. Le monde des assurances est un des secteurs où le workflow complète les autres techniques de gestion et la GED/GEIDE pour le suivi des dossiers des assurés et celui des sinistres. Enfin, pour terminer cette liste des champs d'application possibles, mentionnons que l'industrie peut utiliser le workflow pour un bon nombre de suivis de procédures, du type &laqno;Concurrent Engineering», ou la gestion de configuration, de même que l'armée pour la gestion des matériels.

Les marchés du WorKflow


Le marché du workflow est un marché récent qui, contrairement aux prévisions, se développe lentement car la technique est difficile à mettre en uvre. Le chiffre d'affaires attribuable à ce marché a été d'environ 400 millions de dollars aux USA en 1994 et de 100 millions de dollars en Europe dont environ vingt millions concernent la France. Il recèle, selon les prévisions, un potentiel de croissance important. Les experts estiment que le marché américain du workflow devrait générer un CA de 750 millions de dollars en 1998 tandis que celui de l'Europe atteindrait les 380 millions de dollars, soit une croissance de 17 % en quatre ans. De son côté, le CA du marché français devrait passer de 20 à 50 millions de dollars de 1994 à 1998. Les administrations et les services publics représentent aujourd'hui à eux seuls 40% des applications, suivis des sociétés financières et bancaires à hauteur de 30% puis de l'industrie (10%) et de l'édition au sens large (5%). Une catégorie &laqno;divers» couvrant les autres secteurs industriels représente 15% des applications. Le workflow concerne donc principalement le secteur tertiaire au sens large, secteur qui a pris conscience des possibilités qu'il offrait, telles que la rationalisation des méthodes de travail et l'amélioration du service à l'usager ou à la clientèle.
La distribution et l'implantation de solutions workflow passent principalement par le canal des fournisseurs de systèmes et de logiciels de gestion électronique de documents et d'informations. Ils distribuent 60% des solutions suivis des intégrateurs (20%) et des sociétés spécialisées dans le workflow (20%). Cependant, à l'avenir, nous assisterons au développement de fournisseurs spécialisés, non liés à la GED.

Les solutions Workflow


Il faut se rendre à l'évidence, il règne une grande confusion sur le marché: rien qu'en France, on recense plus de 70 solutions qui vont de la messagerie améliorée aux outils les plus sophistiqués. Là encore, une grille d'analyse paraît nécessaire et les méthodes proposées par M. Thomas Koulopoulos, président du Delphi Consulting Group, nous paraissent les plus adéquates, ainsi que celles de M. Naffah, vice-président chez Bull.
Il est possible d'établir une classification au vu des fonctions principales proposées. Schématiquement, le process classique d'un workflow consiste en cinq phases (de la plus simple à la plus complexe). La première est le partage de l'information dans un groupe de travail. La deuxième est la communication de l'information entre plusieurs utilisateurs. Les suivantes se décomposent comme suit:

- agir en utilisant une procédure simple comme celle que proposent les solutions ViewStar, StaffWare ou agir à l'aide de procédures complexes, celles des logiciels workflows plus élaborés comme Floware (Plexus), Flowpath (Bull), In Concert (Xerox), Action Technologies, Flowmark (IBM);
- partager l'information des applications de bases de données classiques et des applications de type &laqno;groupware suites»;
- communiquer: pour des applications à base de formulaires comme WorkMan et Jet Form ou des applications à base de messagerie comme Coordinator, Beyond Mail.

Classification par la typologie des outils


Nous pouvons distinguer les types de workflow suivants. Le premier, que nous appellerons Ad-hoc, est celui des workflows qui réagissent au cas par cas, sur la base des problèmes à résoudre en mode interactif. Il s'agit d'outils simples d'utilisation, dont le coût par poste (hors matériel et intégration) est de l'ordre de 300 $. Parmi les produits Ad-hoc plutôt orientés messagerie, nous pouvons citer Jet-Form, Reach, Beyond. Le workflow de production est, quant à lui, constitué d'outils sur des transactions pré-définies, par exemple des séquences de choix. les règles sont définies a priori; il s'agit donc d'applications de production. Le coût par poste est élevé, de l'ordre de 500 $. Parmi les produits workflow de production, l'on distingue plusieurs catégories. Les solutions proposées par Filenet, Recognition, AT&T, Wang, XSoft et Flowmark sont orientés "Procédure" tandis que les produits Saros, KeyFile et Documentum sont orientés "Document". La troisième catégorie s'adresse plus particulièrement à des applications de type messagerie et est notamment proposée par Interleaf et Odesta.
Le worflow "objet" se compose d'outils de production développés avec des logiques objets. Les principales caractéristiques des approches objets s'y retrouvent, notamment la réutilisation des composants (par exemple une procédure) et la flexibilité d'utilisation. Les prix sont sensiblement inférieurs à ceux des outils classiques de production. La plupart des produits de production orientés procédure cités ci-dessus entrent également dans cette catégorie.

Une démarche méthodologique préconisée


Dans un projet de workflow, le pragmatisme est de rigueur. C'est pourquoi, plus qu'une démarche standard, nous préconisons les précautions suivantes. Il convient de se méfier des théoriciens. En effet, de nombreux consultants et cabinets conseils discourent sur le sujet; mieux vaut s'assurer de leur maîtrise technique (le workflow est un outil informatique) et vérifier leurs références opérationnelles. Un vrai projet doit se faire avec les ressources internes de l'entreprise.
En deuxième lieu, il est nécessaire de disposer d'une infrastructure technologique de base car le workflow suppose des postes de travail avec une interface graphique, reliés entre eux par un réseau local. C'est un pré-requis majeur.
En troisième lieu, il est impératif de se poser les bonnes questions, à savoir:

- Le processus choisi permet-il des améliorations quantifiables? Une analyse économique prévisionnelle fait-elle apparaître des gains quantitatifs rapides: amélioration des fonctions de recherche et de classement, suppression des étapes intermédiaires, mise en uvre de fonction de groupe de travail?
- L'organisation en place est-elle flexible? L'echec de certains projets est imputable dans 80% des cas à un modèle organisationnel hiérarchique trop rigide alors que le workflow suppose une communication en réseau et au fait que le circuit de délégation et de signature s'avère complexe à appliquer et à suivre.
- Peut-on mettre en place un prototype rapidement, sans passer par des études théoriques trop longues?
- Le projet est-il soutenu en interne? Le workflow suppose des modifications dans les circuits ainsi que la recherche d'efficacité. Le projet doit donc non seulement être accepté par les utilisateurs mais également soutenu par la direction. L'obtention de gains de productivité se traduit nécessairement par des actions de réorganisation.
- Un plan d'extension est-il prévu? Dans le cas contraire, le projet restera un prototype dont les effets s'estomperont rapidement. Le workflow doit être un projet d'entreprise.

L'étape suivante est le choix du bon outil et, comme nous l'avons constaté, l'abondance de l'offre rend le sujet complexe. A titre indicatif, nous donnons ici quelques critères de choix. Le fait de disposer d'un état de l'art, en suivant les éditeurs en particulier, s'avère d'une aide importante. La démarche pour faire son choix sera la suivante:

- déterminer la finalité de l'application;
- identifier le support d'information le plus utilisé dans le projet: la messagerie (étendre si possible au concept d'agent) et le document; il convient alors d'envisager un couplage avec la GED et d'être attentif aux travaux actuels sur les architectures documentaires: ODMA, SHAMROCK, DEN. Le document devra de plus en plus être vu comme un répertoire de pointeurs sur des objets composites: textes, images, fichiers animés, sons;
- identifier la procédure;
- privilégier un outil externe, intégrable avec d'autres applications et/ou d'autres produits;
- identifier le type d'outil: Ad-hoc, Production, Objet;
- remplir le tableau d'analyse ci-dessus (publié dans le magazine).

Les tendances futuresdu Workflow


Les évolutions prévisibles sur le marché du workflow sont les suivantes. A court terme, nous devrions voir arriver sur ce marché de grands éditeurs de logiciels avec des produits génériques peu onéreux - mais le coût de l'intégration restera significatif. Par ailleurs, le workflow devrait s'enrichir de compléments comme l'EDI et la messagerie X400 puis s'ouvrir à une coopération "inter-workflow" à laquelle s'ajoutera la disponibilité de workflows imbriqués.
A moyen terme, ces techniques s'enrichiront de systèmes à base de connaissances, c'est-à-dire capable de travailler sur le sens de l'information, première évolution vers l'ingénierie de la connaissance. Le workflow devrait aussi mettre en uvre le concept du "Bus Applicatif Interactif", véritable colonne vertébrale applicative des architectures futures. Lui-même s'ouvrira en tant qu'outil de conception et de programmation des organisations. Le workflow se présente donc bien comme le support des futures applications du DECISIONNEL APPLICATIF. Souhaitons donc que le marché français comble son retard, afin de rester dans la compétition.

par Sébastien Soubbaramayer


L'auteur: Sébastien Soubbaramayer est le responsable des activités GED et workflow chez AIM à Genève. Il a participé à plus de 100 missions sur ces sujets.

© Copyright 1994 MOSARCA - Cet article a été publié dans le magazine MOS 127- septembre 1994