Le CD-E ou COMPACT DISC effaçable
The Erasable Compact Disc

par Francis Pelletier - © copyright 1995 MOSARCA

Le CD-E pour Compact Disc Effaçable - Erasable en anglais - qui est l'objet de développements dans de nombreux laboratoires à travers le monde, est un enjeu considérable pour l'industrie de l'électronique. Ce nouveau média pourrait en effet changer le marché des disques optiques numériques ainsi que celui de l'électronique grand-public.

Philips a levé le voile en avril dernier sur un nouveau CD-E que nous tentons de cerner ici et qui a la particularité d'intéresser autant les professionnels du stockage informatique que ceux du marché grand-public. Rappelons les faits. Le 24 avril dernier, Philips et une dizaine d'industriels font savoir qu'ils travaillent sur les spécifications d'un Compact Disc Effaçable, spécifications qui, une fois admises par tous les intervenants, permettraient une interchangeabilité des médias entre lecteurs de différentes provenances. Les membres de ce groupe sont des leaders de l'industrie du stockage informatique sur disque optique numérique: IBM, Ricoh, Hewlett Packard, Mitsubishi Chemical Co., Mitsumi Electric Co., Matsushita Kotobush Electric Industries (MKE), Sony, 3M et Olympus.

Leur but est de proposer dans les années à venir des enregistreurs/lecteurs et des médias capables de satisfaire un large éventail d'applications. M. Cornelius Kilk, responsable de la ligne de produits CD-WORM chez Philips Key Modules et également président du comité CD-R au sein de l'OSTA (Optical Storage Technology Association) définit le CD-E comme "...une extension logique du CD-WORM/CD-R et du format CD utilisé en informatique. Le CD-WORM est utilisé à l'heure actuelle dans des environnements bureautiques pour l'archivage et la diffusion de fichiers ou de documents. Le CD-E pourra également être utilisé dans de telles applications avec, en plus, l'avantage d'être un média très abordable... De plus, les unités de CD-E pourront être utilisées pour relire les CD-ROM actuels avec lesquels elles seront compatibles"

Les premières spécifications qui ont été publiées sont plutôt laconiques. Il est dit que les enregistreurs/lecteurs de CD-E devront savoir lire et enregistrer des CD-WORM et relire les CD-ROM actuels. En revanche, ces déclarations laissent entendre qu'il ne sera pas possible de lire des CD-E sur de simples lecteurs de CD-ROM ou autres.

Une partie de ces exigences sont déjà remplies par le PD-2000, ou Phase Change Writer 2000, de Panasonic (Matsushita) dont les premiers exemplaires vont être commercialisés en Europe par Plasmon Data et NEC. Présenté au Comdex `94 (MOS 129, pages 9 et 10), ce périphérique lit, écrit et réécrit des disques optiques à changement de phase d'un diamètre de 12 cm et d'une capacité de 650 méga-octets. C'est également un lecteur de CD-ROM quadruple vitesse intégrant un contrôleur/ interface SCSI fonctionnant d'ores et déjà dans les environnements compatibles PC et Macintosh. Son prix de vente public se situe en dessous de mille dollars aux USA et chaque disque effaçable de 650 méga-octets est proposé au prix de 60 dollars (prix moyen constaté). En revanche, dans sa première version, le PD-2000 de Panasonic ne peut pas écrire de CD-WORM ou CD-R.

Une première génération de CD-E pour 1996

Philips et certains des industriels précités envisagent de commercialiser des enregistreurs de CD-E de première génération en 1996. D'un format physique de 12 cm de diamètre (4,72 pouces), le premier CD-E offrira une capacité de stockage comprise entre 600 et 650 méga-octets. Il pourra, à l'instar des autres supports amovibles effaçables, être enregistré, lu et réécrit à volonté, ce qui le rend apte à des opérations de sauvegarde de données ou de fichiers en complément du disque dur magnétique d'un micro-ordinateur ou d'une station de travail. Les industriels ont choisi la technique d'enregistrement à changement de phase parce qu'elle donne un média peu cher mais surtout parce qu'elle permet de concevoir une unité d'enregistrement/lecture d'un prix abordable, capable, de surcroît, de relire des CD-ROM préenregistrés.

Dans un second temps, sans doute en 1998, il est prévu une seconde génération de CD-E qui sera de haute densité. Elle offrira une capacité de stockage de 3 à 3,7 giga-octets sur une seule face. De leur côté, les industriels réunis autour de Matsushita et de Toshiba envisagent de proposer d'emblée un disque optique effaçable de 12 centimètres de diamètre d'une capacité de 2,5 giga-octets par face. Appelé SD-RAM (voir dans ce même numéro, page 28), il utilise une partie des technologies développées pour le SD ou Super Density Disk (MOS 131, pages 7 à 12). D'autres industriels prévoient à plus long terme d'augmenter les capacités de stockage de ces médias en multipliant le nombre de couches. Mais les problèmes techniques qui restent à régler avant d'y parvenir sont nombreux et ardus.

La technologie à changement de phase, pierre angulaire du CD-E et du HD-CD-E

Comme nous l'avons indiqué à plusieurs reprises dans nos colonnes, la technologie du changement de phase connaît depuis un ou deux ans un regain d'intérêt chez les industriels du disque optique numérique. Nous avons consacré plusieurs articles à cette technique et fait paraître les contributions de plusieurs spécialistes du domaine dont celle de M. Stanford Ovshinsky (MOS 127, pages 65/67) à qui l'on doit les premières publications sur la question. La technologie à changement de phase appliquée aux disques optiques numériques offre de nombreux avantages par rapport au magnéto-optique. Son premier avantage est d'ordre pratique: la réécriture des données se fait directement sur les précédentes - direct overwriting en anglais - sans l'étape intermédiaire d'effacement qu'impose le magnéto-optique. Le deuxième est de permettre la fabrication d'enregistreurs/lecteurs dans lesquels la tête optique n'est pas bien compliquée; cela allège la facture et rendrait la technique plus abordable que celle du magnéto-optique, bien que ce dernier n'ait pas encore dévoilé toutes ses ressources.

La technologie du changement de phase s'avère, dans le principe, très simple. Sous l'effet de la chaleur, un alliage ou un composé de matériaux de transition commute d'un état à un autre: de l'état amorphe vers l'état cristallin ou inversement. Cette modification peut être inversée sous l'effet d'un nouvel échauffement afin que le matériau revienne à son état initial, assurant de la sorte l'effacement des informations et une réécriture directe des données.

Une couche à changement de phase, chauffée avec un spot laser concentré et modulé par un signal, va changer d'état à l'endroit précis de l'impact du laser ce qui a pour effet de modifier localement sa réflectivité. Sous l'effet de la chaleur, l'état initial amorphe du composé se commute en état cristallin et la différence de réflectivité, détectée lors de la lecture par un retour de signal, sera interprétée comme un bit ou une suite de bits d'information. Le laser utilisé pour la lecture étant de faible puissance, il ne modifie pas les données. L'information écrite ou, plus exactement, les multiples et infimes modifications d'état de la couche sont permanentes tant qu'un nouveau passage du laser en puissance d'écriture n'a pas eu lieu. Cette zone ou tache revient à son état initial si elle est à nouveau chauffée par un spot laser et la couche peut être à nouveau réécrite sans qu'une phase d'effacement soit nécessaire.

Panasonic (groupe Matsushita) utilise cette technique depuis de nombreuses années pour ses disques optiques numériques de 5,25 pouces mais également pour ses disques optiques vidéo dont le premier a été présenté en 1983 (MOS 6, page 7). Certains fournisseurs de DON WORM comme IBM ou Kodak pratiquent une variante du changement de phase qui ne permet pas la réécriture des données.

Si la technologie du changement de phase présente des avantages, elle a également quelques inconvénients. Le principal est le nombre de cycles écriture/réécriture; que peut supporter une telle couche. Les essais faits en laboratoire démontrent que le nombre de cycles est d'environ 100.000 alors que le magnéto-optique peut en supporter dix millions. Cette fragilité est celle de certaines zones plus sollicitées que d'autres, notamment là où sont sauvegardés les répertoires du disque. L'inconvénient est cependant tout à fait relatif: 100.000 cycles correspondent à environ cinquante réécritures par jour, 365 jours par an pendant cinq ans. Des tests récents tendent à démontrer que certaines couches à changement de phase pourraient supporter jusqu'à un million de cycles mais ils n'ont pas encore été mis en pratique par les industriels.

Des recherches en vue d'améliorer les propriétés des disques PCR

Le changement de phase appliqué au disque optique a fait l'objet de recherches dans la plupart des laboratoires des firmes travaillant sur les médias optiques. Chez Philips (Eindhoven), les scientifiques chargés de ce produit ont mis au point une technique particulièrement novatrice. Leur but était d'améliorer les qualités de réflectivité de la structure optique d'un CD-E. En introduisant une première pellicule semi-réflective appelée - prémiroir, ils ont réussi à obtenir un taux de réflectivité de 70% pour un état cristallin alors qu'un état amorphe n'offre qu'un taux de réflectivité de 18%. Le différentiel, qui est le bit lui-même, est suffisamment grand pour diminuer le nombre d'erreurs. Ils ont procédé à de nombreux essais d'enregistrement et de lecture d'un disque, à une vitesse variant entre 1,2 et 1,4 m/seconde avec un laser de 785 nanomètres de longueur d'onde.

Avec un laser de 20 milliwatts de puissance, une couche à base de GeTeSe (germanium, tellure, sélénium) met entre 300 et 800 nanosecondes pour commuter d'un état à l'autre. Il a fallu procéder à plus d'une centaine de tests avant de trouver un équilibre entre les éléments de la combinaison, l'épaisseur de la couche et la puissance du laser. La structure optique proposée par Philips est la suivante. Sur un substrat de polycarbonate est déposée une première pellicule semi-réflective de 14 nanomètres d'épaisseur à base d'or. Celle-ci est recouverte d'une couche d'un composé diélectrique à base de ZnS-SiO2 de 13 nanomètres, sur laquelle est déposée la couche sensible proprement dite à base de GeTeSe d'une épaisseur de 18 nanomètres. Suivent une pellicule de protection à base de diélectrique de 50 nanomètres puis une couche réflective à base d'or et un vernis de protection qui pourra être, par exemple, un photopolymère. Désignée par le nom de code MIPIM (pour Métal/Intermediaire-Interférence/ Phase/ Intermédiaire-Interférence/Métal), cette cavitéoptique semble donner des résultats particulièrement satisfaisants dans la perspective d'une application de type CD-E. De plus, elle permet d'assurer une lecture de disques optiques effaçables enregistrés sur des lecteurs de CD-ROM ou tout appareil compatible avec les spécifications du Red Book (Livre Rouge) de Philips/Sony définissant les critères du Compact Disc. Néanmoins, rien ne dit que c'est cette structure qui sera adoptée pour ce nouveau média car rien de définitif n'a encore été dit. Nous avons récemment appris que les ingénieurs de Philips envisageaient de s'engager sur une autre voie technique. Elle consisterait en un compromis faisant abstraction d'une haute réflectivité de la structure optique et nécessitant, de ce fait, un laser de moindre puissance. Ce choix permettra de produire des enregistreurs de CD-E à un prix plus abordable mais ne permettra plus la lecture des disques dont nous avons décrit la structure sur de simples lecteurs de CD. Cette nouvelle approche est actuellement à l'étude entre Philips et les industriels nommés au début de cet article. Elle devrait donner naissance à un appareil répondant à des besoins génériques de l'informatique: la lecture des CD-A ou des CD-ROM, l'enregistrement et la lecture de CD-WORM ainsi que l'enregistrement/ effacement/lecture de CD-E. En effet, l'objectif premier est de proposer un "standard" commun entre les principaux industriels afin d'assurer l'interchangeabilité des médias et la fabrication d'un appareil pouvant être commercialisé à un prix "abordable" afin qu'il devienne l'un des composants de base des micro-ordinateurs.

Pour mémoire, il convient de mentionner que la solution faisant appel à un prémiroir - telle la structure MIPIM de Philips - a également été testée chez Pioneer, Toshiba et d'autres. Leurs ingénieurs ont utilisé une première couche semi-réflective ou semi-transparente à base d'or puis, pour Toshiba, une pellicule réflective à base d'aluminium afin d'obtenir des résultats applicables soit à un CD-E, soit à un disque optique numérique (3,5 ou 5,25 pouces). Les recherches visant à améliorer les performances se poursuivent dans de nombreux laboratoires, notamment au Japon. Nous devrions connaître à la fin de cette année le choix définitif des industriels qui devront harmoniser leurs médias afin de les rendre compatibles avec les différentes unités qui seront proposées sur le marché.

Francis Pelletier
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Cet article a été publié dans le magazine MOS 134 mai 1995

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